Devenir (ta) mère
Quand on veut devenir mère, on a souvent une idée préconçue de la maternité, de ce que c'est "élever un enfant" ou du moins, s'en occuper. On sait qu'on va passer par la grossesse et l'accouchement, qu'on imagine parfois d'une certaine façon et pour la suite, qu'on va devoir changer beaucoup de couches, donner beaucoup de tétées et/ou de biberons, dormir trop peu et choisir un bon anticernes.
On sait aussi qu'on va aimer une nouvelle personne très fort, qu'on le mettra dans une école privée ou publique, qu'on sera une "maman cool" ou une "mère poule" et qu'il aura une jolie chambre près de celle de ses deux parents qui l'aiment fort et qui s'en occupent autant l'un que l'autre.
Ça, c'est un début de toutes les choses qu'on imagine quand on projette ou qu'on s'apprête à devenir mère.
Quand on devient la mère de quelqu'un, d'un bébé qui est là et qui existe concrètement, tout est bousculé.
On pensait savoir, on pensait pouvoir et parfois, on s'est complètement trompée.
Il arrive même que ce soit totalement l'inverse qui se produise et dans certains cas, ce sont les montagnes russes : de grandes joies comme de grandes peines, des rires et des larmes, de la motivation extrême et une fatigue intense mais surtout, beaucoup de questions qu'on se pose.
Pour ma part, je suis passée par une belle palette d'émotions.
D'abord une joie énorme lorsque Nico m'a dit oui pour avoir un enfant. Cette joie qui s'est décuplée pendant la grossesse, même lors des moments moins marrants. Un petit passage délicat lors de l'annonce du déclenchement qui était d'abord mal vécu pour ensuite être relativisé (je vous en parle en détails dans cet article). Un accouchement qui présageait la suite : le meilleur jour de ma vie mais aussi le plus éprouvant.
Les trois premières semaines qui suivirent l'arrivée de Milo, j'étais la personne la plus heureuse sur Terre. Un bébé calme, souriant dès ses 10 jours, câlin, qui s'habituait bien à la tétée, qui passait de bras en bras sans râler et qui se réveillait une fois la nuit pour boire. Certes, j'avais quelques peurs "normales", celle de le faire tomber, celle qu'on me l'enlève, celle qu'il meurt dans son sommeil. On nous parle tellement de la mort subite du nourrisson que s'en est devenu anxiogène. Ce qui est plutôt stupide car la peur n'évite pas le danger et surtout, on ne peut pas y faire grand chose...
Un jour, j'ai eu peur de mourir. Je n'avais jamais ressenti ça avant. Mourir, ça n'a rien d'horrible pour soi-même (je ne parle pas des gens qui affrontent une longue maladie douloureuse évidemment), c'est surtout difficile pour ceux qui restent, ceux qui doivent continuer à vivre sans la personne. Je ne voulais pas qu'il grandisse sans sa maman, qu'il souffre de mon absence.
Ensuite, j'ai eu peur de moi, de mes travers et de mon passé. J'ai été élevée par des parents séparés qui faisaient de leur mieux mais qui n'avaient rien à voir l'un l'autre, qui ont chacun refait leur vie et fondé un nouveau foyer. Moi j'en avais deux et en même temps, c'est comme si je n'en avais pas. "Le cul entre deux chaises" ça s'appelle.
Mon père était un peu fermé. Gentil, honnête, droit dans ses bottes, bosseur, beau, organisé, indépendant mais un peu "ours". Ce n'était pas toujours simple de lui faire comprendre ce que je ressentais et heureusement qu'il y a(vait) sa femme, Sylvie.
Ma mère elle, elle allait mal.
Elle avait quitté mon père pour un autre homme qui s'est révélé violent et au fur et à mesure, elle l'est devenue elle aussi. Avec moi.
Ça s'est vraiment arrêté quand elle est partie vivre loin. Étrangement, c'est l'éloignement qui nous a rapprochées.
Pendant cette période où elle était absente, j'ai vécu l'enfer avec un homme. Il était violent verbalement, physiquement, sexuellement, je me suis éloignée de beaucoup de personnes, renfermée encore plus sur moi-même. Il m'a fallu tomber enceinte de lui, m'en rendre compte très tard (presque trop) et vivre une épreuve douloureuse pour trouver la force de sortir de tout ça. Car oui, même si la grossesse peut amoindrir votre force physique, elle décuple votre force mentale.
J'ai avorté bien sûr, c'était une évidence, la question ne se posait pas. Je ne voulais pas d'enfant maintenant et par dessus tout, je ne voulais pas d'un père comme ça pour mon enfant. Qui voudrait de ça ? Je suis passée par deux hospitalisations, des dizaines de visites médicales à partager la même salle d'attente que de futures mères épanouies, des échographies que je n'avais pas le droit de regarder, deux mois de galères et de souffrances physiques pour faire partir cet embryon bien installé depuis presque trois mois. Mais vous me connaissez, je préfère retenir le positif et même si c'était difficile, ça m'aura aussi permis de quitter cette ordure et changer de formation.
J'ai intégré une promo de BTS en communication, c'était parmi les meilleures années de ma vie, celles où je rattrapais tout le temps perdu. Ça m'a aidé à me trouver, un peu du moins. Je ne le savais pas encore mais toutes ces difficultés que je tentais de relativiser m'avaient profondément transformée et marquée. Même si on n'est jamais le plus à plaindre, on traîne toujours un boulet... ou plusieurs.
Lorsque j'ai eu droit à une belle relation avec quelqu'un, j'ai eu besoin de comprendre comment j'avais pu laisser un homme me frapper et me rabaisser autant, alors que j'aurais conseillé à n'importe qui de se sauver en courant s'il avait été dans mon cas. Est-ce que j'étais trop bête ? Influençable ? Il fallait que je comprenne et on m'a expliqué que non, il n'y avait pas besoin d'être idiote pour se faire manipuler (pour cela, merci à Maiwenn qui le montre très bien dans son film Mon Roi). Que la violence était aussi un environnement que j'avais connu par le passé et qu'étrangement, "ce qui est connu est rassurant", que j'avais involontairement voulu me mettre à la place de ma mère en vivant la même chose qu'elle pour pouvoir la comprendre et peut-être, la pardonner.
Et je l'ai pardonné bien sûr. C'est ma mère.
En plus, elle s'est apaisée avec le temps, vraiment.
Mais lorsque je suis devenue maman, que les nuits sont devenues compliquées et que j'ai eu autant de colère en moi, toutes ces choses me sont revenues en pleine figure et à l'heure image : violemment.
Je fais souvent ce rêve, celui où l'on me traque, où je me cache car des zombies ont envahi la Terre, parce que je suis poursuivie par des "méchants". J'en ai parlé en thérapie pour comprendre. Ce rêve, il signifie que je ne me sens pas en sécurité, pas à l'abris. Que je cherche encore, à mon âge, le réconfort d'un foyer aimant, rassurant et sécurisant.
Ce foyer que je n'avais qu'à mi-temps quand j'étais enfant.
Ce rêve, il décrit beaucoup les faiblesses qui me caractérisent : le manque de confiance en moi, la peur de l'autre et du conflit, la soumission, le besoin d'être rassurée souvent.
C'est pour ça que je ne veux pas laisser pleurer mon bébé : je ne veux pas qu'il devienne comme moi.
Je lutte chaque jour pour lui offrir le meilleur mais il faut se rendre à l'évidence, je dois régler mes problèmes passés car même si je pensais qu'ils l'étaient, ils ne le sont pas. Peut-être que ma mère doit aussi régler les siens ? Je n'en sais rien...
Hier, j'ai acheté un livre : Le Fils de l'Homme, de Jean-Baptiste Del Amo. Je ne sais pas encore ce que ça vaut mais une seule phrase a motivé mon achat : "la transmission de la violence d'une génération à une autre".
Transmettre mes faiblesses, mes peurs et ma violence à mon fils, c'est tout ce que je veux éviter. Je sais qu'à l'heure actuelle, je fais de mon mieux, que je ne me mets pas la pression et que j'arrive à trouver des moments pour vivre les choses au feeling, avec plus de légèreté, comme je le faisais avant pour moi. Je sais que je suis une bonne mère pour mon fils et qu'il a l'air de se sentir bien dans sa vie. D'ailleurs, je tiens à préciser que mes parents aussi sont de bons parents, qu'ils ont fait de leur mieux et que je n'en veux pas à ma mère pour ce qui s'est passé. Je pense que je l'ai pardonnée, que je l'aime comme on peut aimer sa mère, mais qu'il y a quelque chose à faire pour aller plus loin, pour nous apaiser vraiment. En réalité, les conséquences de la violence physique et verbale peuvent raisonner encore longtemps après les actes, ou ressurgir à un moment particulier.
Moi, c'est en devenant mère que toutes mes souffrances passées sont remontées à la surface. C'est là que je me suis rendue compte de l'épreuve qu'était la maternité. Bien sûr, on m'avait prévenue des nuits courtes, de l'attachement, du fait qu'un petit être dépendait entièrement de vous, des engueulades en couple à cause de la fatigue : je savais tout ça. Mais le reste, le passé, je ne m'y attendais pas.
Pour cette raison, j'ai débuté une psychothérapie. J'en parlerai un jour, vous le savez car je suis comme ça. Ce n'est pas un manque de pudeur, c'est une envie & un besoin de transmettre ce que j'ai vécu pour que d'autres personnes trouvent des réponses, du réconfort, de l'aide s'ils vivent les mêmes choses.
En attendant, la vie continue et fort heureusement, elle est très belle.
Je vous souhaite une bonne journée et je vous retrouve bientôt pour des sujets plus légers 😉
Manon
Très joli texte Manon je te trouve comme toujours très courageuse, encore plus avec cette confession...
RépondreSupprimerBelle journée et il est vrai que la vie est belle 😍
Très joli article, dans lequel je me reconnais étant aussi jeune maman !
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